À mi-chemin en direction de Commercial Street, à seulement un pâté de maisons du marché de Spitalfields, se trouve une voie de service anonyme. Le piéton moyen ne remarquerait même pas son existence. Mais, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette bande de tarmac sans personnalité de plus de cent mètres de longueur fut jadis Dorset Street- l’artère la plus connue de la capitale ; la pire rue de Londres et le ressort des agitateurs protestants, des voleurs, des escrocs, des proxénètes, des prostituées et des meurtriers, Jack l’Éventreur étant le plus célèbre d’entre eux.
Spitalfields et les rues telles que Dorset Street gagnèrent en attrait pour les immigrants irlandais appauvris car, bien que les logements fussent insalubres, ils étaient aussi bon marché et se trouvaient à proximité des postes de travail potentiels de la City de Londres, des quais et du marché de Spitalfields. Une grande partie des immigrants irlandais de la classe ouvrière y trouva du travail de colportage, achetant des fruits et des légumes au marché afin de les vendre dans la rue aux résidents locaux, en les transportant dans une brouette. Outre les vendre dans la rue, nombreux furent les immigrants irlandais qui, ayant auparavant travaillé dans des fermes, acceptèrent des postes dans le secteur du bâtiment. Quelques-uns firent des petits boulots sur les quais, d’autres s’éreintèrent en creusant la terre ou en coupant du bois. Lorsque le travail venait à manquer, ce qui était souvent le cas, aussi bien les femmes que les hommes mendiaient dans la rue. Cette vie au jour le jour signifiait qu’il fallait toujours être à la recherche d’un nouveau logement. Les familles avaient à peine de quoi manger, sans parler d’avoir assez d’argent pour payer le loyer d’une chambre raisonnablement meublée. En conséquence, les auberges communes qui jalonnaient Dorset Street et beaucoup d’autres rues de Spitalfields connurent un essor sans pareil ; cependant, cette activité en pleine expansion fit rapidement l’objet d’une surveillance étroite par les réformistes sociaux, les journalistes et à terme, par l’état.
Au tout début des années 1850, la situation déjà désespérée des pauvres de Spitalfields, exacerbée jusqu’à un degré presque insupportable par l’arrivée des immigrants irlandais, évolua de telle manière que ces « pauvres bougres » finirent par se trouver parmi les plus pauvres de Londres, ce qui attira l’attention de la presse. En 1849, Henry Mahew, un journaliste, visita Spitalfields à la recherche de la pauvreté extrême, afin de rédiger un article pour le journal « Morning Chronicle ». Il fut particulièrement touché par la détresse des anciens tisserands de soie, qu’il voyait vivre dans un état de lugubre indigence, assis dans leurs chambres misérables, en songeant à leurs belles maisons et leur repas favori d’antan : un bon rôti de bœuf. Il remarqua que les tisserands qui subsistaient se résignaient à vivre dans de telles conditions et, en outre, ne possédaient plus l’énergie suffisante afin de réagir, « il régnait chez eux le même manque d’espoir, la même fixité et indifférence quant à leur sort ». Des rapports particulièrement critiques tels que celui-ci, alliés à un rapport de la Commission Royale, obligea le parlement à s’occuper du problème des auberges communes et une loi fut promulguée en 1851 dans un souci d’améliorer la situation.
Les règlements imposés par la Loi sur les Auberges Communes de 1851 étaient bien intentionnés mais au mieux mal conçus et au pire, risibles. Le mesurage des chambres afin d’y installer des lits aurait été approprié pour une seule personne ; il convient néanmoins de souligner que la pratique de partager les lits afin d’économiser de l’argent était ancestrale, doublant ainsi, voire triplant la capacité des chambres lorsque les nuits étaient particulièrement froides.
Les écriteaux indiquant le nombre disponible de lits dans chaque chambre ne servirent pratiquement de rien, la plupart des clients ne savait pas lire et ne souhaitait, en aucun cas, communiquer leur seule source de protection aux autorités. Changer les draps une fois par semaine aurait été une bonne idée, si la loi avait obligé les blanchisseries à l’accepter. En réalité, les blanchisseries refusaient de toucher les draps des auberges, même avec bout de bois, puisqu’ils étaient souvent infestés de bestioles qui finissaient par pulluler dans toute la blanchisserie.
La Loi sur les Auberges Communes de 1851 était truffée d’erreurs et, probablement, la plus importante fut de ne pas réglementer la manière dont les propriétaires gagnaient leur vie. En conséquence, le prix des lits s’auto-réglementait. Quiconque pouvait gérer ce genre d’activité pour son compte propre, sous réserve d’avoir une propriété adéquate à disposition. La chute en vrille de l’économie locale entraîna celle des prix immobiliers à un minimum historique vers la moitié du XIXe siècle, à tel point qu’aucun chasseur immobilier ne souhaitait vivre à Spitafields.
Les élégantes maisons des maîtres tisserands, si délicatement conçues et meublées en 1700, subissaient les conséquences d’une négligence aigüe ; les toits fuyaient, le plâtre tombait des murs, la graisse bouchait les fourneaux et les planches du sol commençaient à s’effondrer. En conséquence, ces maisons qui furent exclusivement à la portée de personnes suffisamment riches à leur époque, s’achetaient dès lors pour une misère, ce mélange de propriétés bon marché et d’une demande de logements à bas prix fit de Spitafields l’un des quartiers clés pour les hommes et les femmes dont l’ambition était de tirer profit du malheur des pauvres.
Les anciens vendeurs ambulants devinrent les nouveaux propriétaires, ils acquirent leurs biens grâce à l’argent provenant des paris aux courses de chevaux ou des vols directement. Les meubles provenaient fréquemment des hôpitaux ou de maisons où les maladies infectieuses pullulaient, ils étaient donc très bon marché puisque personne ne se risquerait à les acquérir de peur d’être contagié. Bientôt, les ambitieux magnats immobiliers vendirent, avec peu de garanties, voire aucune garantie, les participations dans leurs activités afin d’accroître le capital social.
Des annonces commencèrent à être publiées dans les journaux, offrant une rentabilité de 4% aux personnes désireuses d’investir dans les auberges communes. Dès qu’un projet réunissait le nombre requis d’investisseurs, les biens étaient rapidement liquidés et loués. La plupart des investisseurs participant à de tels projets vivait très loin et ne savait pas comment leurs « clients » étaient traités ; s’ils l’avaient su, il aurait été peu probable de pouvoir dormir facilement tous les soirs.
Les auberges communes de Spitalfields s’adressaient à trois catégories principales de clients : ceux trop malades, âgés ou paresseux pour travailler et les délinquants de droit commun. De manière générale, les propriétaires d’auberges employaient des assistants dont le travail consistait à s’assurer que tous les clients payaient leur lit, tous les soirs, ainsi qu’un surveillant de nuit, ou plutôt gorille, qui décourageait les clients non désirés. En conséquence, l’expulsion des femmes enceintes, des malades et des personnes âgées était fréquente, sachant parfaitement qu’ils allaient dormir dans la rue. Le personnel des auberges n’en prenait pas réellement conscience et les propriétaires se préoccupaient encore moins de leurs semblables. Outre permettre aux personnes désespérées de dormir dans des conditions indécentes, ils gagnèrent encore plus d’argent en monopolisant les produits de base comme le pain, le savon et les bougies, qu’ils vendaient ensuite aux clients à des prix exagérément élevés. Un policier qui patrouillait dans le quartier à cette époque écrivit sur les auberges communes… à son avis, « leurs propriétaires délinquaient encore plus que les pauvres diables qui devaient y vivre ».
Outre ces misérables auberges, Dorset Street et une grande partie de Spitalfields furent envahies par des logements loués à la semaine et à la chambre, pauvrement décorées de vieux meubles dans un état piteux. Thomas Archer écrivit à propos de ces logements dans un rapport intitulé « Les horribles vues de Londres », précisant que chaque chambre hébergeait une famille au complet, parfois deux ou trois familles, ces maisons étant rarement ou jamais assujetties aux rares et inefficaces restrictions imposées par la loi, et où, du grenier à la cave, les hommes, les femmes et les enfants pullulaient et étouffaient dans un air fétide et nauséabond, puis se mariaient avec elles ».
Ces logements étaient célèbres de par leurs prostituées puisqu’elles offraient l’intimité nécessaire afin de prêter leur service à leurs clients, ce qui aurait été impossible dans les immenses dortoirs des auberges communes. Les propriétaires accueillaient les prostituées car ils pouvaient leur faire payer un loyer plus élevé, dans le but de couvrir le risque qu’ils couraient d’être découverts, puisqu’ils vivaient de revenus dont la provenance était immorale. Au fur et à mesure que le nombre de prostituées qui travaillaient à Spitafields s’accroissait de manière spectaculaire au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les locataires de logements se rendirent compte qu’ils pouvaient gagner des revenus supplémentaires en étant mieux organisés dans la manière de contrôler leurs locataires.
Dans l’ensemble, Spitalfields est devenu de nos jours un endroit dynamique et à la mode où il fait bon vivre, travailler et se reposer, la résidence d’artistes et d’artisans, tout comme elle le fut à l’époque où les huguenots s’y installèrent. Toutefois, lorsque la nuit tombe, la nature apparemment inoubliable et sordide de cette fascinante partie de Londres émerge de nouveau, lorsque les inconscientes descendantes de Mary Kelly, Polly Nicholls, Catherine Eddowes (toutes les trois victimes de Jack l’Éventreur) et bien d’autres commencent à exercer leur métier autour des vénérables murs de Christ Church, l’église de Spitalfields. Tout signe de Dorset Street, « la pire rue de Londres » a pour ainsi dire presque disparu de la carte, mais son héritage est trop puissant pour être totalement effacé.
Écrit en 2012 par Andrew, traducteur d’anglais de Sol Marzellier Traductores TM, et inspiré par le livre « The Worst Street in London » de Fiona Rule, publié en 2008.
Traduit par Sol, CEO de Sol Marzelllier Traductores TM.
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